Phil Mertens, « Feu et métal », Flits, no 19, Printemps 1973, p.36-38

Traduit du flamand par Marcella Vanden-Abeele

Dans sa manière de vivre, dans sa défense d’idées et de sentiments, dans sa lutte avec la matière, nous trouvons de l’acharnement. Dans le cas de Leunens, l’aigreur devient une qualité : elle réfère aux profondeurs nocturnes de ses années Brabançonnes, où, comme ouvrier de nuit à Halle, il dialoguait avec la noirceur nocturne et où il menait son combat physique et mental.

Durant des années, sa passion enthousiaste et son effort ont influencé sa solitude et sont devenus des armes avec lesquelles il a fait face à sa propre ambiguïté , en confrontation avec celle des autres. Cette bataille solitaire n’a jamais été un blâme pour les autres. Cela répond à un besoin interne de garder une certaine distance, de prendre tous les risques en ayant comme seule certitude le travail et le métier. Il a dessiné un cercle magique dans l’ambiance fiévreuse de Paris, qui préserve son authenticité et son instinct d’artiste , et qui lui permet de réaliser le miracle du feu et du métal liquide dans un petit appartement parisien.

Le langage hermétique du feu et du métal l’intrigue ; ce langage ne se manifeste que graduellement à l’oeil attentif du visiteur. L’existence du clair et de  l’obscur s’identifie à une intimité nocturne: ces deux éléments fascinent son regard ,qui, à l’approche de la nuit, a compris la gamme des nuances du gris et du noir. Leunens a vécu la nuit matériellement. Ses premières toiles possèdent le silence des paysages lunaires et l’impossibilité des « chats de la nuit  » . La suie des flammes a ensorcelé le papier ultérieurement, tandis que les reflets du métal permettent aux monotypes reliefs et sculptures de prendre vie.

Ses mains de peintre se sont habitués à l’instinct du feu et du métal. Ces médias concrétisent l’espace avec une lumière interne, comme antérieurement la peinture à l’huile la transmutation se réalise sous nos yeux et si nous touchons la feuille métallique, notre main s’étonne  de la trouver plus lisse qu’un linge fin et d’une profondeur insondable. Les traces de l’effort de l’artiste ont disparu: après l’effort physique du rabotage, le bruit des marteaux et le stress lors d’une aventure osée, le silence du travail achevé s’impose , comme une pause musicale. Un signe s’attache discrètement à ce silence; ainsi l’oeil peut atteindre et entrer dans l’espace intérieur qui bouge harmonieusement entre le clair  et l’obscure, et se propage par le mouvement du spectateur. Son mystère n’est pas trahi par l’équilibre simple, ni le secret de la dernière touche; la main conduit toujours le métal liquide , tout comme elle a conduit la peinture à l’huile , en se souvenant des efforts antérieurs . Elle a arrêté le geste à l’ultime frontière , là où la langue devient confuse et perd sa force d’expression. L’image qui a été évoquée par le signe , se dissout dans le matériau. Le danger d’une figuration  intentionnelle est évité, en faveur d’un certain hermétisme.

La technique est contrôlée par la sensibilité ; elle améliore et complète à son tour l’instinct . Un feu ininterrompu unit l’homme et son oeuvre , un lien qui devient encore plus serré à cause du plaisir de créer et de l’enthousiasme qui sont à la base du travail de Guy Leunens: cela devient sa caractéristique.



< Retour