M.R.

Un peintre Belge que, dès 1956, Xavier Franc, fidèle ami de notre A.P.A.M., présentait aux amateurs, en nous révélant « Leunens, Peintre de vie  » (1). Et, déjà, il le montrait « créant, menant quoiqu’il advienne, le combat pour l’art ». Un an  plus tard, en 1957, il se fixait à Paris, laissant chez son frère en Belgique, toutes les oeuvres créées jusqu’alors. D’abord  Figuratif, avec une tendance vers le Néo-Expressionnisme, il s’orienta vers l’abstrait dès qu’il fut en notre ville. Et, très vite, il inventera des techniques très personnelles pour créer ces oeuvres qui ont abouti à ces  »compositions de métal  » que nous avons pu voir, en 1963, au Centre d’Art Cybernétique(2) et que nous présentait R.-V. Gindertael. Les tôles de Leunens retenaient  vivement l’attention, intriguaient tant elles différaient de tout ce que nous avons l’habitude de voir.

Comment en est-il venu à ces étranges oeuvres de métal? Dès qu’il est à Paris, il recourt à une série de techniques qu’il invente: « grattage » du papier pour des dessins à l’encre de Chine, ou Monotypes réalisés avec de la fumée sur des plaques d’isorel et qu’il gratte ensuite… utilisation  du papier mouillé à l’eau sucrée…,etc… Et, déjà, il travaille directement sur toile avec le Feu, après avoir enduit cette toile d’une couche de couleur à l’huile , blanche, jaune, etc… Le Feu est produit par un chiffon imprégné d’essence de Térébenthine: dans la couche de peinture, il crée ainsi des reliefs; la toile avait, d’abord, été préparée avec du blanc de Meudon et de la colle de peau de lapin (comme le faisaient les Primitifs…). Cette toile, ainsi traitée, est ensuite appliquée sur une autre, bien tendue et, ainsi, se créent des reliefs: puis, il peint en blanc, jaune, vert…pour recréer un fond uni…Et c’est ce fond qu’il travaille avec le Feu… Il est très difficile, avec des mots, de rendre compte de cette extraordinaire technique qui donne des oeuvres lumineuses…

Pour comprendre ce besoin de technique qui le hante, il faut savoir qu’il fut, autrefois, ouvrier mouleur dans une fonderie de bronze et de cuivre, en Belgique: de là est venu cet usage du Métal et du Feu pour la création de ses oeuvres actuelles. Jusqu’en 1945, il fut ouvrier, tout en consacrant ses loisirs à la peinture… C’est ainsi qu’il conquit ce « sens de la matière » et aussi la grande expérience acquise par ses mains de travailleur! Amour de la matière? peut-être, mais à une seule fin: lui imposer d’exprimer ce que lui,l’Artiste, doit nous dire. En fait, il s’est beaucoup penché sur la technique des Anciens qu’il a longuement interrogés en étudiant leurs oeuvres. Et c’est ce qui a encouragé toutes ses audaces. Ainsi, en 1960-61 il fait des aquarelles au Nescafé! puis, à ce produit il mélange les couleurs d’aquarelle: il obtient ainsi une sorte de matière de « gouache » gardant la transparence. Et, parfois, à cette matière, il joint le « grattage ».

Ce n’est qu’en 1949_ à 35 ans_ qu’il a pu réellement se consacrer à l’Art… après une longue suite de difficultés, depuis son enfance où il fut élève dans un orphelinat, avant de travailler à l’usine… Depuis ce temps lointain, il se sentit très isolé… et, seule, la Peinture a pu le libérer. A 35 ans, il suivit les Cours de l’Académie…En fait, depuis l’enfance, il est attiré par l’Art et, dès 1930, il suivait attentivement toutes les manifestations artistique d’avant-garde. C’est depuis 1960 qu’il transpose ses toiles sur le métal.

Autodidacte, maître de sa technique, il veut la mettre au service de ses « inspirations ». Alors, nous nous approchons des oeuvres, pour les questionner. De 1964, voici « Isis », réalisée avec du métal sur papier: c’est un projet pour une série d’oeuvres de métal qu’il prépare et qu’il appellera « Arr-Koss »; les noms mêmes qui identifient ses oeuvres sont parfois abstraits! En fait, il utilise toutes les matières! les fragments de verre, d’où, en 1963 « Iris », « Christ »… et même les fibres de bois.

Ses dernières oeuvres sont en métal: chacune est fixée sur un chassis comme le serait une toile, et sa surface est couverte de reliefs qui brillent sous la Lumière qui semble les animer. Quel métal? l’aluminium, la tôle d’acier…Mais c’est en Peintre qu’il travaille le métal, non en Sculpteur. Il éprouve un intense besoin de forcer la matière à exprimer ce qu’il appréhende- à son insu- en cette Ère de l’Atome où croit-il, la Peinture ne trouvera plus sa place: c’est le Métal qui est la matière de notre Temps…

Quand c’est fini? il éprouve le sentiment que « c’est bon »..; sinon il déchire le papier métallisé..;ou bien, il attend, dans l’incertitude: il retouche, il corrige… Comment, alors, sent-il que « ça va » ? Sans hésiter, il nous dit: « C’est l’instinct qui répond ». Nous sommes donc en présence d’une technique absolument nouvelle: cet Art du Métal.

Aux formes neuves qui expriment notre Temps, s’ajoute désormais cette nouvelle technique:le Métal remplace la Peinture en ce siècle de l’Atome…Comme le fit van Gogh, avec la même fougue, Leunens met en place un nouveau LANGAGE PLASTIQUE: après celui des ONDES, celui de l’ATOME? Tous ces points de métal, qui animent de leur relief la surface de l’oeuvre, semblent révéler une technique secrète qui intrigue: le métal sur papier, puis le relief sur métal; qu’ intervienne la technique connue du « repoussage »… l’envers de l’oeuvre brille comme un miroir!  aluminium, tôle d’acier … sont tendus sur le châssis comme le serait une toile…

Cet artiste, qui recourt à cette technique si mystérieuse pour révéler ce que lui communique notre Monde Présent, a beaucoup voyagé à travers l’Europe depuis vingt ans. Et, depuis 1956, une dizaine d’expositions personnelles ont fait connaître son oeuvre que manifestait aussi sa participation à une quinzaine d’expositions de Groupe: on peut voir en permanence, ses oeuvres à la Galerie de Verneuil(2). Elles semblent ouvrir une voie nouvelle au Langage Plastique du Présent, en lui offrant de nouveaux moyens d’expression.

1-Xavier Franc Leunens, peintre de vie(Ed. »La Sève » Bruxelles, 1956).
2-Galerie de Verneuil, 20, rue de Verneuil, Paris (7e).
3-La peinture Abstraite en Flandres. Préface de Emile Langui. Texte de Michel Seuphor(1963).



< Retour