Biographie

L’art du métal

Le métal et le feu, introduits par ses premiers métiers d’ouvrier, ont influencé l’originalité de l’œuvre de Leunens. Il semble logique que le choix de ce matériau l’ait incité à participer aux recherches nouvelles des sculpteurs du fer. Pourtant, son orientation fut toute autre car, lorsqu’il commence ses expériences, Leunens est déjà peintre. S’il désire abandonner les moyens traditionnels de la peinture qu’il juge, pour lui, périmés, il s’attache toutefois au respect de l’expression picturale tout en élaborant de nouvelles techniques qui, à sons sens, s’adapteraient mieux au style moderne.

Guillaume Leunens débute ses expérimentations avec le métal dans les années 1960. Il se sert d’une grande feuille d’aluminium tendue sur un cadre de bois comme toile de fond. Il utilise plusieurs méthodes pour réussir à peindre avec du métal sur l’aluminium. Il a probablement trouvé sa technique alors qu’il travaillait dans les fonderies pour les allemands. Le résultat s’avère spectaculaire, parmi ses plus belles oeuvres. Il crée également des sculptures sur socle et murales avec la même technique. Il réussit même à réaliser des œuvres métal sur toile et métal sur papier.

Les techniques de métal sur papier et de métal sur toile sont ses secrets les mieux gardés, qu’il n’a jamais partagés. Dans son atelier lorsqu’il travaille, personne n’est tolérée. Il aime peindre la femme, la mère et son enfant ainsi que la conception, probablement en raison de sa jeunesse sans sa mère. Il est aussi obsédé par l’espace et tout ce qui s’y rattache. Il en a une vision avant-guardiste. Il est connu comme le peintre de la nuit et de l’espace.

Après avoir participé à l’Exposition universelle de Montréal en 1967, alors qu’il expose à New York, deux professeurs de l’Université Harvard lui demandent s’il peut, avec sa technique métal sur aluminium, réaliser deux œuvres représentant des cellules saines et cancéreuses à l’aide de diapositives. Il crée deux grandes œuvres, une pour chaque type de cellules pour les professeurs qui furent grandement impressionnés par la ressemblance des œuvres de Leunens avec de véritables cellules.

Vers le milieu des années 1970, il commence à utiliser une autre technique sur ses œuvres en aluminium soit les monotypes qui révèlent l’harmonie des lignes. Leunens utilise aussi cette technique sur du papier démontrant la polyvalence de l’artiste. Les « monotypes » sont le résultat surprenant et fascinant d’une technique nouvelle, toute personnelle : les mains de peintre de Leunens ont contraint le métal (aluminium) à se comporter comme une couleur à l’huile. L’appellation « monotypes », donnée à tort, selon certain, suggère un lien avec l’art graphique qui est totalement absent. Dans l’œuvre de Leunens, les tableaux sont sans aucun doute abstraits et un autre nom devrait être utilisé.

Travailleur acharné, Guillaume Leunens peint une œuvre pendant des jours puis, le travail terminé, il la regarde et s’il ne la trouve pas à la hauteur, la détruit et en recommence une autre ou invente tout simplement une autre technique. Sa détermination, sa patience, mais surtout sa passion envers son art et sa vision de l’univers sont les principales qualités qui ont permis à Guillaume Leunens de se rendre au bout de son rêve.

Il s’est toujours battu pour son art en repoussant ses propres limites, il voulait toujours faire mieux. Il était à l’avant-garde de son vivant et il l’est toujours aujourd’hui. Il a emporté avec lui tous ses secrets. Sur son lit de mort il a dit : « Mon fils, plusieurs ont essayé de m’imiter mais personne n’a jamais réussi.  Il y en a encore qui vont essayer mais ils ne réussiront pas. » Ses oeuvres continueront de faire vibrer en nous toutes les émotions que cet être passionné par la vie et la nuit a su insuffler à son art.

Son inspiration a été nourrie par les expériences de l’ouvrier-artiste dans le Brabant belge. Il était fasciné par le feu et le métal, le jour, dans la fabrique; la nuit, ces images le poursuivaient pendant ses efforts créateurs. À ce moment, la maîtrise de l’homme sur la matière l’a poussé finalement jusqu’au triomphe artistique.

Peintre Flamand

Né le 14 septembre 1914 à Halle en Belgique, Guillaume Leunens comme ses frères et sœurs sont retirés du foyer familial par les services sociaux pour cause de négligence parentale. Les enfants sont placés dans des orphelinats, chez les frères catholiques pour les garçons et chez les religieuses pour les filles. À 16 ans, Guillaume s’enfuit des frères et trouve refuge chez sa tante maternelle. Dès lors, il commence à travailler dans une fonderie : sa première rencontre avec le métal. Lors de ses temps libres, lorsqu’il a du papier et des crayons, l’envie irrésistible de dessiner l’habite et ce, depuis son enfance.

En 1939, la deuxième guerre mondiale éclate et l’Allemagne déclare la guerre à la Belgique. Envoyé au front dans l’armée Belge à la frontière allemande, il perd son meilleur ami à ses côtés d’une manière atroce. L’image de ce dernier, la tête arrachée, le poursuit jusqu’à la fin de ses jours. Après que la Belgique ait abdiqué, il est capturé et envoyé dans un camp pour travailler dans une fonderie. Le soir, il dessine sur tout ce qu’il déniche pour se changer les idées. À la suite du bombardement de la fonderie par les alliés, il est transféré dans un autre camp en Autriche.

À son retour de la guerre, les horreurs et les souvenirs de corps morts mutilés qu’il ramassait jour après jour le hantaient et l’avaient profondément transformé. Jamais plus il ne travaillera dans une fonderie : « J’en ai assez coulées des bombes pour les Allemands. » Il commence à peindre et, bien qu’il soit surtout autodidacte, il suit des cours du soir à l’École des Beaux-Arts de Bruxelles. Son inspiration lui vient à la tombée de la nuit, là où le calme règne.

Une fois son esprit rassasié, il rentre et peint jusqu’aux petites heures du matin. Sa vie de peintre nocturne ne l’empêche pas de travailler à la même chocolaterie que son épouse. Le salaire étant beaucoup moindre que dans une fonderie, il peine à payer les toiles et la peinture pour ses œuvres. Il opte alors pour le jute, l’aggloméré, le carton et divers matériaux récupérés pour peindre.

À cette époque, il vend sa première œuvre, la Vierge Marie avec l’enfant Jésus dans ses bras, pour 500 francs belge. Cette vente lui insuffle le feu sacré de la peinture et le pousse à poursuivre sa carrière. Le dimanche, il peint seul à la campagne, puis avec différents artistes locaux. Ses peintures sont essentiellement de vieilles fermes et des paysages.

Il expose quelques fois par année dans les clubs d’artistes. Dans l’une de ses expositions, il rencontre Magritte avec qui il se lie d’amitié pendant quelques années. Il aime expérimenter, du figuratif à l’abstrait en passant par le surréalisme. Parmi ses influences, notons Permeke, Breughel, Picasso et Van Gogh. La critique est élogieuse et Leunens est en demande dans les galeries d’art. Parti de l’expressionnisme flamand, il évolue vers l’art abstrait et sa rencontre avec Servranckx lui permet de découvrir sa propre voie.

Il obtient une bourse d’études du gouvernement belge en 1957 pour étudier les techniques artistiques espagnoles à Majorca. Il rencontre alors une riche bourgeoise française qu’il épousera après le divorce de son premier mariage. Grâce à sa nouvelle épouse, il consacre tout son temps à l’art.

En 1958, Guillaume Leunens s’arrache à la vision de la nature. On le remarque alors saisir l’essence même de l’absence de lumière. Dans de nombreuses expériences réalisées au moyen de la peinture, de fer chauffé et d’aluminium, de verre ou de cuivre et même avec des ingrédients comme l’encre, la cire, des grains de café écrasés, il étale des surfaces foncées et pourtant vibrantes, dont l’aspect sombre est rendu encore plus enigmatique par des lignes claires ou des points colorés. Dans ses meilleures productions, Guillaume Leunens parvient déjà à évoquer sa fascination pour la nuit totale.

En 1960, il commence à travailler sur du métal, étant convaincu que notre époque recquiert des moyens picturaux propres. Il transpose alors ses peintures sur du métal, matériau qu’il connaît depuis sa jeunesse. Des plaques d’aluminium reçoivent ses formes géométriques primitives, des cercles, des carrés distendus, des rectangles de travers, des diagonales, des lignes parallèles, des transversales, des carreaux, des trapèzes en perspectives, des cônes tronqués et raccourcis. Elles révèlent une essence poétique; malgré la géométrie apparamment sèche, elles confèrent à l’aluminium prosaïque une forte dose de chaleur humaine.

Il entreprend ensuite de nombreux voyages en Europe, aux Etats-Unis et au Canada. Il participe à l’exposition universelle de Montréal au Canada pour représenter la France. Ses œuvres se retrouvent dans les collections publiques de 8 pays et il expose dans une dizaine d’autres. À la fin de sa vie, il se retire de la vie artistique. Il cesse d’exposer et peint seulement pour le plaisir, surtout des grattés de son petit village à Gras. Il préfère passer son temps dans sa partie d’un vieux château de l’Ardèche en France où il s’occupe de son jardin de fleurs et écrit des poèmes dans sa langue maternelle le flamand. Il décède en 1990. Guillaume Leunens était un Flamand de naissance et de cœur, il n’a jamais renié sa Patrie même s’il s’était exilé en France.

La poésie du métal

Le peintre Guillaume Leunens est un homme d’une sensibilité fébrile. Il épouse son temps avec un enthousiasme sans réserves. Son œuvre constitue un chant et un hommage à ce qui caractérise fondamentalement notre temps : le métal, dont l’emploi est encore majeur dans notre civilisation moderne. Plutôt que de subir positivement le règne du métal, Leunens cherche à en pénétrer le système, comme pour en débusquer les menaces qui y sont latentes.

Artisan, technicien, mais également doué d’un tempérament généreux, Leunens a voulu en quelque sorte, exorciser le métal – en l’occurrence, l’aluminium, d’un maniement plus poétique et d’une matière plus sobre et plus noble que d’autres métaux et le rendre plus propice à l’homme en en dégageant la beauté qui y est incluse. Un tel dessein le conduit, après des années de recherche, à inventer un langage nouveau pour que la matière se laisse pénétrer par l’esprit de l’homme.

Évolution toute naturelle d’un artiste qui, après avoir suivi, non sans originalité, les routes de la peinture traditionnelle, prend celles des sentiers encore inexplorés jusqu’à l’exploration d’un monde nouveau : celui de la nuit et des astres, pour lequel le grain et les caractéristiques de l’aluminium conviennent admirablement. Il en tire des effets qui laissent pantois les spectateurs.

Les grands tableaux, où s’opposent la gamme variée des gris, allant de l’argenté au sombre évoquent irrésistiblement des mondes en gestation ou en opposition. Les lignes jaillissent avec une fougue généreuse; les plaques des gris granuleux revêtent des formes larges ou déchiquetées qui font penser à des univers en évolution permanente. Le lyrisme du trait ou de la ligne ou le jeu mathématique des courbes, ou encore les veinures profondes, imposent à l’aluminium un sens qui le dépasse : une fusion quasi mystique avec le cosmos ici rapporté.

À côté des grands tableaux, il y a surtout des « monotypes » métalliques, dont le style est identique, mais qui sont montés sur des feuilles de papier. Ils ont été réalisés selon une technique propre à Leunens. Les résultats sont étonnants car chaque « monotype » dégage un pouvoir d’émotion et de beauté dû à la maîtrise avec laquelle Leunens a buriné le métal : aspérités, inégalités, lumière, tout converge à restituer la vertu poétique de l’aluminium. Gris nuancés, moins durs ou profonds, s’allient dans un jeu subtil pour donner une grâce et une séduction inattendues.

Ce qui frappe, c’est l’unité profonde de l’inspiration qui, sans se répéter, parce que fondée sur une observation inlassée de la réalité, aboutit à des créations d’un style inimitable. Il ne paraît pas excessif de conclure que Leunens est un de ces rares peintres précurseurs d’un art tendu à exprimer le monde en gestation autour de grandes tendances et qui les exprime avec la matière la plus apte à enclore le maximum de chaleur humaine.

Une énigme pour la science

Contacté en 1996 par la famille de Leunens, les membres d’Artmetal, un regroupement international d’artistes travaillant le métal situé à Washington, ont été impressionnés par les œuvres de Guillaume Leunens. Sans soudure ni repoussé, les membres d’Artmetal se demandent comment Leunens applique le métal sur l’aluminium. Le président invite alors la famille à apporter des œuvres à leur convention de Washington qui se déroule quelques mois plus tard. En attendant chacun donne ses idées sur la technique de Guillaume Leunens. Le docteur Mark Parmenter, ingénieur en métallurgie à la NASA, avance même qu’il trouvera la technique en moins de 15 minutes s’il peut voir et toucher les œuvres. La famille apporte donc 6 œuvres à la convention et après trois jours, aucune hypothèse n’a été émise.

Plus tard, les membres d’Artmetal continuent les expériences chacun de leur côté pour essayer de reproduire la même technique. Après deux ans de recherche, ils n’ont toujours pas trouvé la technique de Guillaume Leunens. L’hypothèse générale suggère qu’il a appris sa technique lors de son emprisonnement dans les camps de travail d’Allemagne lors de la deuxième guerre mondiale. Probablement une ancienne technique qui se serait perdue après la mort de Leunens.

On peut d’ailleurs lire les courriels de discussion sur cette recherche à l’adresse suivante : http://www.artmetal.com/project/Features/Leunens/index.html