Revue de Presse

Le nom de Guillaume Leunens figure dans les ouvrages suivants : E. Benezit dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et gravures » « Dictionnaire biographique des artistes Belges », « Nouveau dictionnaire biographique Européen (Who is Who) » et autres. Les livres « Guillaume Leunens »  par M. van Jole, « Leunens peintre de vie » par Xavier Franc, la revue Flits et différentes critiques ont été utilisées pour parfaire ce site.

Altagor, Paris, le 3 avril 1961

Après trois ans d’absences en Espagne et dans le midi de la France, son tempérament nordique affrontant les couleurs du sud, un peintre-ouvrier flamand, un peintre-poète, est revenu à Paris, « pour y voir, dit-il, ce qu’on y fait et non pour y faire ce qu’on y voit », nous apportant ainsi un ensemble personnel d’une belle unité.

Y a-t-il exprimé tout entier son tempérament volubile, intensément passionné, traversé d’angoisse et de nostalgie? Y a-t-il projeté ses souvenirs de plaines flamandes sous les saisons dormeuses, les climats amortis soudain agités de tempêtes, les terres fertiles aux couleurs sombres, les villes pittoresques aux visages ambigus, les mines de charbon dévorées de labeur, les usines massives entourées de vieux murs de style Van Gogh, de style Verhaeren, ou l’atmosphère indécise où flotte encore l’ombre rêveuse de Rodenbach, les exubérances des fêtes populaires, les danses truculentes du folkore, et ses longues solitudes d’enfant sans amour, l’adolescent perdu, toujours poussé par son idéal et sa riche nature? Tout cet univers enfin transporté, non décrit, dans sa peinture.

Soit qu’il se confie en ses poèmes, d’une écriture spontanée, soit qu’il se projette en ses surfaces brûlées, collées superposées, râpées et cependant toutes nuances avec sobriété, dans ses reliefs sans excès coupés à angles droits, dans ses brasiers rougeoyants, ses minerais calcinés, ses foyers obscurs, ses masses polies, chauffant comme des plaques de fours, il ne nous livre pas tous les secrets qui l’inspirent. Un vaste inconscient lui demeure en puissance, au fond de son désir. Mais son oeuvre est là, riche d’existence: il suffit de la contempler pour l’aimer.

André Marc. Bruxelles, La Lanterne 6-7 mai 1961

Entre l’ « action painting » où le geste spontané a, théoriquement, comme seul guide, les impulsions du subconscient et le géométrisme calculé où les formes, les lignes et les couleurs répondent à une organisation intentionnelle, et contrôlée de la surface du tableau, l’art non-figuratif couvre un large univers, dont le centre demeure avec évidence et même avec instance, l’homme.  Non pas un être absolu, une sorte d’archétype, ni même l’image rassurante du « mens sana in corpore sano », mais un homme fait d’inquiétude et d’espérance, convaincu que les apparences immédiates ne sont pas des limites irréductibles et qu’au-delà de l’objectivité de la raison, de la logique s’ouvre un autre univers, qui est aussi le sien.

Une partie de l’art non-figuratif a voulu prospecter ces zones encore obscures et créer un langage qui puisse devenir aussi représentatif que celui des formes empruntées à la réalité.  Les oeuvres de Guillaume Leunens offrent, à ce titre, un bel exemple d’équilibre entre ce que devine le poète et ce que sait le peintre, entre ce que l’artiste conçoit en tant que plasticien et ce qu’il exprime d’indéfinissable et de mystérieux dans ses tableaux.

Ces oeuvres font penser à une forme de néo-expressionnisme, dont le lyrisme, au lieu de se développer en vagues tumultueuses, a été canalisé dans une architecture assez rigoureuse. La construction repose sur un jeu de surfaces quadrangulaires, allongées dans le sens de la verticalité et qui engendre un rythme de lignes et de formes. Par sa peinture même, Guillaume Leunens enveloppe cette construction et lui enlève une trop grande rigueur géométrique en l’intégrant dans des modulations de couleurs, dans des dégradés du clair au foncé, en faisant passer certaines formes de la précision des lignes à l’imprécision.  Quelques arêtes de cette architecture sont accusées par un léger relief, préalablement obtenu, au moment de l’encollage sur panneau rigide.  La peinture terminée, elles ont pour effet d’accrocher la lumière et de souligner ainsi certaines lignes par un brillant naturel, selon leur exposition à la clarté.

La lumière joue d’ailleurs un rôle essentiel dans les oeuvres de Leunens, une lumière qui n’a guère de relation avec celle des impressionnistes, qui prend plutôt l’aspect d’une clarté « rembranesque », sans que l’on puisse,  à proprement parler, la qualifier de clair-obscur.  Il s’agit plutôt d’ombre enveloppante, trouée çà et là par de vives clartés . En fait, cette lumière, qui est aussi couleur, crée un climat, de violence parfois, comme dans « Néron », ou de mystère, comme dans « Isis ». Elle apporte par ses modulations, par sa tonalité dominante, une atmosphère plus psychologique que physique,  à ces étranges architectures, temples et cathédrales, en dehors du temps et de l’espace.

L.L. Sosset, Bruxelles, Beaux-Arts 1964

Comment ne pas s’intéresser à l’exposition accrochée aux cimaises de la galerie «Le Zodiaque»? C’est à l’aluminium que Leunens confie l’expression de sa sensibilité picturale.  Les panneaux qu’il présente constituent l’aboutissement d’une longue évolution intérieure secondée par une patiente mise au point des procédés d’exécution. Le goût des matières subtilement travaillées l’inspire très certainement, mais davantage encore la mystérieuse fascination des modulations en grisaille. Chez lui, la vision de l’espace respire, vit, se charge des résonances de l’émotion perceptive.

Le matériau auquel il a recours met surtout en évidence l’originalité et le raffinement de ses ressources techniques. Ce Flamand de Paris est parvenu à imposer aux surfaces glacées du métal, grâce à des recherches personnelles, une gamme de dégradés d’une chaleureuse cohésion qui s’échelonne de l’opacité à la brillance, des modulations sous-jacentes aux reliefs irradiants. Sur des fonds nocturnes flottent des traînées de couleurs et scintillent des traits aériens dont les trajectoires fuyantes éveillent l’animation, la profondeur et la féerie des surfaces monochromes. Les remarquables «monotypes  métallisés» que l’on y rencontre d’autre part prouvent de même les réussites de cet artiste, à partir de moyens et d’une poétique de lignée graphique.

André Marc. Bruxelles, La Lanterne 7 novembre 1964

Tant de recherches, d’expériences, d’artifices aussi, pour accrocher à son nom le petit fanion indispensable et distinctif de l’originalité, ont amené bien des artistes à concevoir l’oeuvre d’art par l’extérieur.  Ils revêtent le vide de leur pensée d’une carapace qui, pour être parfois jolie, n’en est pas moins creuse.  Pour d’autres, au contraire, le tableau ou la sculpture est l’épanouissement d’un élan du coeur. Guillaume Leunens compte parmi ceux-ci.

En utilisant l’aluminium pour support, plutôt que la toile, il ne cherche nullement  à « faire original ». Ce choix de l’aluminium, sous forme de grandes feuilles tendues sur un châssis, répond au double objectif de l’expression et de la conversation. (Je tiens tout de suite à préciser que, ni par la technique, ni par l’esprit, ces tableaux n’ont de rapport avec l’aluchromie). Il est aussi l’aboutissement de recherches antérieures, un aboutissement d’autant plus naturel et logique  qu’il restitue en les amplifiant les qualités acquises au cours des précédentes étapes.

Guillaume Leunens, comme bon nombre d’artistes d’aujourd’hui, est préoccupé par des problèmes d’espace et de mouvement.  Mais il a su donner à l’expression plastique de ces deux facteurs une interprétation nouvelle.  La notion d’espace est ici rendue sensible et spiritualisée par un jeu de modulations, qui va du noir à l’argenté en passant par toute une gamme de gris métalliques.

Cette tonalité recouvre la surface du tableau et enveloppe, par moments, des zones en léger relief qui apparaissent comme des matières intégrées dans l’épaisseur de cet espace.  Jointes aux modulations de couleur, elles ont pour effet d’accuser l’apparence tridimensionnelle du sujet et de donner, en quelque sorte, de la profondeur et du volume à l’espace. Dans ce milieu se meuvent, tels les météores se disloquant sous l’effet de la vitesse et soulignant leur trajectoire d’un sillage lumineux, des corps indéfinissables, mais matérialisés par un relief fortement accusé.

Voici donc une peinture dont le dépouillement et l’apparente simplicité accentuent la puissance d’évocation.  A l’heure du cosmos et des folles vitesses dans l’espace, elle suggère par l’absence même de relation avec des choses terrestres (ne serait-ce que la couleur) un univers supraterrestre.  On serait presque tenté de dire, tant l’art de Guillaume Leunens donne une impression de vérité, d’objectivité, qu’il ne s’agit plus en l’occurrence d’abstraction mais bien de réalisme anticipatif.

L.L. Sosset, Bruxelles, Beaux-Arts 1968

Peindre avec le métal, tel est, d’autre part, le propos de Guillaume Leunens – Belge de Paris  qui, depuis plusieurs années, s’est crée une discipline propre dont il a largement assoupli et développé les ressources  aujourd’hui.  C’est à la projection de l’aluminium en fusion et à son traitement artisanal qu’il a recours pour éveiller, à même le support, des rythmes généralement spiralés ou circulaires d’où se dégage comme le mystère d’une présence cosmique élémentaire.  Imposer une poétique de suggestion, une chaleur visuelle, tout un registre de vibrations lumineuses à partir d’un matériau industriel de nature frigide est la marque profonde, et combien attachante, de son originalité. Les modulations qu’il impose au jeu des éclats, des opacités, des nuances, des reliefs s’identifient à une authentique impulsion vitale, prouvant ainsi qu’il n’y a pas de faille chez lui entre l’imagination et la réalisation, entre la subjectivité de la conception et les moyens qui la suscitent.

Reggui, Orléans, La République du Centre, 15 mars 1968

Guillaume Leunens occupe une position originale dans le monde de la peinture.  En premier lieu, ce peintre belge est né de parents ouvriers et il a été lui-même ouvrier dans une fonderie. Il a gardé de ses origines et de son passage à l’usine  les qualités foncières du travailleur consciencieux, habile, respectueux de la matière qu’il emploie: couleurs ou métal.  Son attitude face à la réalité est celle d’un être qui sait le prix inestimable de toute chose; son dessein est de l’exprimer dans sa complexité, certes, mais en la traversant d’un souffle créateur qui l’établit fermement et l’agrandit jusqu’à en constituer un univers de singulière beauté saisissante.

En second lieu, Guillaume Leunens, qui est un autodidacte, a découvert, par ses recherches personnelles, une technique qui ressortit: davantage au savoir-faire de l’artisan qu’à celui de l’artiste imbu de l’enseignement d’une quelconque école des Beaux-Arts.  Ses tableaux, que nous ne verrons pas à l’exposition, et ses métaux sont le fruit des influences qu’il a subies au cours de ses visites dans les musées – celles de Breughel, van Gogh et Permeke – et de l’apprentissage technologique qui fut le sien durant son adolescence.

De ce mélange entre le reçu et l’acquis est née une synthèse du faire qui trouve son accomplissement  dans l’utilisation de l’aluminium, sous forme de grandes feuilles tendues sur un châssis.  Elles ne manqueront pas de surprendre dès l’abord les visiteurs, mais l’oeil finit par entrer dans le jeu harmonieux des modulations qui vont du noir à l’argenté, en passant par toute une gamme de gris métalliques.  Ce volontaire dépouillement, qui n’est pas sans analogie avec celui de la musique contemporaine, ne manque pas d’une certaine grandeur pathétique, en dépit du matériau employé: l’aluminium.

C’est dans ce choix que réside la dernière originalité de Guillaume Leunens: avoir admirablement exprimé, à travers le « métal » buriné, les deux notions fondamentales de la peinture: l’espace et le mouvement.  Il y parvient par une série de bosses et de creux, traversés de zébrures en tous sens qui captent la lumière et la restituent dans des tons différents, dont le chatoiement assombri dessine toutes sortes de variations qui accusent le relief et le rendent palpable et mouvant.  L’impression dominante est celle d’un univers météorique qui reflète déjà le monde pressenti par l’anticipation.

Guillaume Leunens a exposé, à plusieurs reprises, à Bruxelles, notamment le mois dernier,  à Paris, à Tunis et en Espagne. L’inauguration de son exposition à Orléans aura lieu ce vendredi, à 16 heures, salle Péguy, en présence du peintre, qui dialoguera volontiers avec les visiteurs cet après-midi et samedi.

E.L. « La nouvelle République », 23-24 mars 1968

Association Populaire Art et Culture vendredi 15 mars. Un vernissage pas comme les autres. Une exposition pas comme les autres: pas de cohue, une sorte de recueillement et de silence et le peintre Leunens qui présente son oeuvre.  Peintre, Leunens?  Sculpteur ? Sur le seuil, on n’ose se prononcer: on se trouve en présence de grands métaux à l’éclat contenu, patiné et duveteux… Non, bien que la tentation tridimensionnelle ait dû être subtile, Leunens  reste un peintre, mais avec une grandeur farouche, franchise, courage. Bien sûr, Leunens n’est pas de ceux qui s’adressent à qui aime l’anecdotique et le facile : mais, de nos jours, le grand public ne confond jamais les genres. Bien que suspecte par son éclat, mais domptée avec tendresse, la tôle, chez Leunens, atteint la qualité des matériaux nobles, inédits mais inquiétants. Leunens la respecte, cette surface plane et se garde bien de la facilité du burin.

Au contraire, il lui incorpore jusqu’à une totale unicité des déchirures de métal en fusion, sans jamais, jamais trahir la verticalité choisie.  Profil d’équilibre ambigu, mais se trouvent pris au piège de la tôle, les orbes puissants et les engrenages célestes qui nous séduisent sans concession et s’imposent en hurlant leur silence. D’une immobilité telle qu’on n’est même pas sûr qu’elle ne nous échappe pas, comme la lente horlogerie du déroulement des jours et des nuits. Et des nuits. Et des nuits. Et de la solitude. Leunens ou le peintre de la nuit. Le silence, l’inquiétude, mais acceptés et non subis, dans une transmutation en métal sobre. Nul n’est étranger au domaine qu’a choisi Leunens. Mais ce qu’expose actuellement ce peintre au Centre Charles Péguy, cela ne se raconte pas; ça se contemple, comme sa propre solitude, ça se regarde, ça se voit, ça se ressent.   “Solite, insolite”…

A.Durieux, Bruxelles, automne 1971

Les vrais artistes sont-ils destinés à oeuvrer dans l’indifférence, simplement parce qu’ils « dépassent » ou qu’ils sont hors du temps? C’est un lieu commun de répéter que nul n’est prophète en son pays.  Qu’il serait donc original et intelligent de faire mentir les proverbes.

L.L. Sosset, « Poésie graphique », Flits, Printemps 1973, p.36

Traduit du flamand par Marcella Vanden-Abeele

Leunens utilise l’aluminium pour y mettre sa sensibilité de peintre en évidence. Les panneaux qu’il nous montre forment le point final d’une longue évolution intérieure et d’un long perfectionnement de ses procédés d’exécution. La particularité du matériau subtilement travaillé l’a sûrement inspiré ,et encore plus le charme mystérieux des modulations dans la grisaille. Une étendue d’émotions accumulées vivent, respirent dans son oeuvre.

Le matériau sur lequel il travaille est surtout révélateur de l’originalité et du raffinement de son talent technique. Grâce à ses expériences personnelles, ce flamand parisien a réussi à donner à des plans lisses une gamme de dégradés chaudement harmonieux, qui varient du mat à l’éclat, de modulations sous jascentes à des reliefs rayonnants sur un fond noir nous trouvons des traînées de couleurs  et des lignes fuyantes dont la touche légère fait vivre l’inspiration, la profondeur et la magie des surfaces monochromes. Ces monochromes métalliques remarquables que fait Leunens, confirment encore le talent mûr de cet artiste dans l’utilisation de ses ressources. Le résultat donne une poésie graphique.

Phil Mertens, « Feu et métal », Flits, no 19, Printemps 1973, p.36-38

Traduit du flamand par Marcella Vanden-Abeele

Dans sa manière de vivre, dans sa défense d’idées et de sentiments, dans sa lutte avec la matière, nous trouvons de l’acharnement. Dans le cas de Leunens, l’aigreur devient une qualité : elle réfère aux profondeurs nocturnes de ses années Brabançonnes, où, comme ouvrier de nuit à Halle, il dialoguait avec la noirceur nocturne et où il menait son combat physique et mental.

Durant des années, sa passion enthousiaste et son effort ont influencé sa solitude et sont devenus des armes avec lesquelles il a fait face à sa propre ambiguïté , en confrontation avec celle des autres. Cette bataille solitaire n’a jamais été un blâme pour les autres. Cela répond à un besoin interne de garder une certaine distance, de prendre tous les risques en ayant comme seule certitude le travail et le métier. Il a dessiné un cercle magique dans l’ambiance fiévreuse de Paris, qui préserve son authenticité et son instinct d’artiste , et qui lui permet de réaliser le miracle du feu et du métal liquide dans un petit appartement parisien.

Le langage hermétique du feu et du métal l’intrigue ; ce langage ne se manifeste que graduellement à l’oeil attentif du visiteur. L’existence du clair et de  l’obscur s’identifie à une intimité nocturne: ces deux éléments fascinent son regard ,qui, à l’approche de la nuit, a compris la gamme des nuances du gris et du noir. Leunens a vécu la nuit matériellement. Ses premières toiles possèdent le silence des paysages lunaires et l’impossibilité des « chats de la nuit  » . La suie des flammes a ensorcelé le papier ultérieurement, tandis que les reflets du métal permettent aux monotypes reliefs et sculptures de prendre vie.

Ses mains de peintre se sont habitués à l’instinct du feu et du métal. Ces médias concrétisent l’espace avec une lumière interne, comme antérieurement la peinture à l’huile la transmutation se réalise sous nos yeux et si nous touchons la feuille métallique, notre main s’étonne  de la trouver plus lisse qu’un linge fin et d’une profondeur insondable. Les traces de l’effort de l’artiste ont disparu: après l’effort physique du rabotage, le bruit des marteaux et le stress lors d’une aventure osée, le silence du travail achevé s’impose , comme une pause musicale. Un signe s’attache discrètement à ce silence; ainsi l’oeil peut atteindre et entrer dans l’espace intérieur qui bouge harmonieusement entre le clair  et l’obscure, et se propage par le mouvement du spectateur. Son mystère n’est pas trahi par l’équilibre simple, ni le secret de la dernière touche; la main conduit toujours le métal liquide , tout comme elle a conduit la peinture à l’huile , en se souvenant des efforts antérieurs . Elle a arrêté le geste à l’ultime frontière , là où la langue devient confuse et perd sa force d’expression. L’image qui a été évoquée par le signe , se dissout dans le matériau. Le danger d’une figuration  intentionnelle est évité, en faveur d’un certain hermétisme.

La technique est contrôlée par la sensibilité ; elle améliore et complète à son tour l’instinct . Un feu ininterrompu unit l’homme et son oeuvre , un lien qui devient encore plus serré à cause du plaisir de créer et de l’enthousiasme qui sont à la base du travail de Guy Leunens: cela devient sa caractéristique.

M.R.

Un peintre Belge que, dès 1956, Xavier Franc, fidèle ami de notre A.P.A.M., présentait aux amateurs, en nous révélant « Leunens, Peintre de vie  » (1). Et, déjà, il le montrait « créant, menant quoiqu’il advienne, le combat pour l’art ». Un an  plus tard, en 1957, il se fixait à Paris, laissant chez son frère en Belgique, toutes les oeuvres créées jusqu’alors. D’abord  Figuratif, avec une tendance vers le Néo-Expressionnisme, il s’orienta vers l’abstrait dès qu’il fut en notre ville. Et, très vite, il inventera des techniques très personnelles pour créer ces oeuvres qui ont abouti à ces  »compositions de métal  » que nous avons pu voir, en 1963, au Centre d’Art Cybernétique(2) et que nous présentait R.-V. Gindertael. Les tôles de Leunens retenaient  vivement l’attention, intriguaient tant elles différaient de tout ce que nous avons l’habitude de voir.

Comment en est-il venu à ces étranges oeuvres de métal? Dès qu’il est à Paris, il recourt à une série de techniques qu’il invente: « grattage » du papier pour des dessins à l’encre de Chine, ou Monotypes réalisés avec de la fumée sur des plaques d’isorel et qu’il gratte ensuite… utilisation  du papier mouillé à l’eau sucrée…,etc… Et, déjà, il travaille directement sur toile avec le Feu, après avoir enduit cette toile d’une couche de couleur à l’huile , blanche, jaune, etc… Le Feu est produit par un chiffon imprégné d’essence de Térébenthine: dans la couche de peinture, il crée ainsi des reliefs; la toile avait, d’abord, été préparée avec du blanc de Meudon et de la colle de peau de lapin (comme le faisaient les Primitifs…). Cette toile, ainsi traitée, est ensuite appliquée sur une autre, bien tendue et, ainsi, se créent des reliefs: puis, il peint en blanc, jaune, vert…pour recréer un fond uni…Et c’est ce fond qu’il travaille avec le Feu… Il est très difficile, avec des mots, de rendre compte de cette extraordinaire technique qui donne des oeuvres lumineuses…

Pour comprendre ce besoin de technique qui le hante, il faut savoir qu’il fut, autrefois, ouvrier mouleur dans une fonderie de bronze et de cuivre, en Belgique: de là est venu cet usage du Métal et du Feu pour la création de ses oeuvres actuelles. Jusqu’en 1945, il fut ouvrier, tout en consacrant ses loisirs à la peinture… C’est ainsi qu’il conquit ce « sens de la matière » et aussi la grande expérience acquise par ses mains de travailleur! Amour de la matière? peut-être, mais à une seule fin: lui imposer d’exprimer ce que lui,l’Artiste, doit nous dire. En fait, il s’est beaucoup penché sur la technique des Anciens qu’il a longuement interrogés en étudiant leurs oeuvres. Et c’est ce qui a encouragé toutes ses audaces. Ainsi, en 1960-61 il fait des aquarelles au Nescafé! puis, à ce produit il mélange les couleurs d’aquarelle: il obtient ainsi une sorte de matière de « gouache » gardant la transparence. Et, parfois, à cette matière, il joint le « grattage ».

Ce n’est qu’en 1949_ à 35 ans_ qu’il a pu réellement se consacrer à l’Art… après une longue suite de difficultés, depuis son enfance où il fut élève dans un orphelinat, avant de travailler à l’usine… Depuis ce temps lointain, il se sentit très isolé… et, seule, la Peinture a pu le libérer. A 35 ans, il suivit les Cours de l’Académie…En fait, depuis l’enfance, il est attiré par l’Art et, dès 1930, il suivait attentivement toutes les manifestations artistique d’avant-garde. C’est depuis 1960 qu’il transpose ses toiles sur le métal.

Autodidacte, maître de sa technique, il veut la mettre au service de ses « inspirations ». Alors, nous nous approchons des oeuvres, pour les questionner. De 1964, voici « Isis », réalisée avec du métal sur papier: c’est un projet pour une série d’oeuvres de métal qu’il prépare et qu’il appellera « Arr-Koss »; les noms mêmes qui identifient ses oeuvres sont parfois abstraits! En fait, il utilise toutes les matières! les fragments de verre, d’où, en 1963 « Iris », « Christ »… et même les fibres de bois.

Ses dernières oeuvres sont en métal: chacune est fixée sur un chassis comme le serait une toile, et sa surface est couverte de reliefs qui brillent sous la Lumière qui semble les animer. Quel métal? l’aluminium, la tôle d’acier…Mais c’est en Peintre qu’il travaille le métal, non en Sculpteur. Il éprouve un intense besoin de forcer la matière à exprimer ce qu’il appréhende- à son insu- en cette Ère de l’Atome où croit-il, la Peinture ne trouvera plus sa place: c’est le Métal qui est la matière de notre Temps…

Quand c’est fini? il éprouve le sentiment que « c’est bon »..; sinon il déchire le papier métallisé..;ou bien, il attend, dans l’incertitude: il retouche, il corrige… Comment, alors, sent-il que « ça va » ? Sans hésiter, il nous dit: « C’est l’instinct qui répond ». Nous sommes donc en présence d’une technique absolument nouvelle: cet Art du Métal.

Aux formes neuves qui expriment notre Temps, s’ajoute désormais cette nouvelle technique:le Métal remplace la Peinture en ce siècle de l’Atome…Comme le fit van Gogh, avec la même fougue, Leunens met en place un nouveau LANGAGE PLASTIQUE: après celui des ONDES, celui de l’ATOME? Tous ces points de métal, qui animent de leur relief la surface de l’oeuvre, semblent révéler une technique secrète qui intrigue: le métal sur papier, puis le relief sur métal; qu’ intervienne la technique connue du « repoussage »… l’envers de l’oeuvre brille comme un miroir!  aluminium, tôle d’acier … sont tendus sur le châssis comme le serait une toile…

Cet artiste, qui recourt à cette technique si mystérieuse pour révéler ce que lui communique notre Monde Présent, a beaucoup voyagé à travers l’Europe depuis vingt ans. Et, depuis 1956, une dizaine d’expositions personnelles ont fait connaître son oeuvre que manifestait aussi sa participation à une quinzaine d’expositions de Groupe: on peut voir en permanence, ses oeuvres à la Galerie de Verneuil(2). Elles semblent ouvrir une voie nouvelle au Langage Plastique du Présent, en lui offrant de nouveaux moyens d’expression.

1-Xavier Franc Leunens, peintre de vie(Ed. »La Sève » Bruxelles, 1956).
2-Galerie de Verneuil, 20, rue de Verneuil, Paris (7e).
3-La peinture Abstraite en Flandres. Préface de Emile Langui. Texte de Michel Seuphor(1963).

R.V.Gindertael Paris

Le métal et le feu, avec lesquels ses premiers métiers utilitaires l’avaient familiarisé, ont décidé de l’originalité de l’oeuvre de Leunens.  Il eut été logique, semble-t-il, que le choix de ce matériau et de cet élément formateur l’ait incliné à participer aux recherches nouvelles des sculpteurs du fer. Pourtant, telle n’a pas été son orientation; car, lorsqu’il commença ses expériences, Leunens était déjà peintre et, s’il en était venu à vouloir abandonner les moyens traditionnels de la peinture qu’il jugeait, pour lui, périmés, il s’attacha néanmoins à respecter l’expression picturale tout en élaborant de nouvelles techniques qui, à son sens, devaient s’accorder mieux au style du monde moderne et lui permettaient d’adapter plus exactement les suggestions dimensionnelles de ses oeuvres à l’extraordinaire élargissement du domaine spatial à l’âge de la conquête du cosmos.

Ainsi, voyons-nous dans ses oeuvres récentes, les petits éléments en relief, martelés ou soudés, qui ponctuent ses tôles animées et presque dématérialisées par des traînées d’ombres et de lumières, agir de manière purement visuelle pour établir des rapports d’espaces et fournir des points d’appui aux élans de la pensée en quête d’évasion supraterrestre.

Certainement sa conviction et son inspiration n’ont pas varié de sens depuis ses premières réalisations.  On remarquera, pourtant, qu’il est parvenu, grâce à de nouvelles trouvailles d’exécution, à sensibiliser davantage ces formations en relief et surtout à matérialiser, en quelque sorte, la mobilité et la rapidité même de la trajectoire de ces projections, accentuant ainsi la spatialité active de ses surfaces.,On attend maintenant que soit donnée à Leunens l’occasion d’exécuter de grandes compositions murales où son art si personnel trouverait sa vraie mesure.

Reggui, Orleans

Le peintre Guillaume Leunens est un homme d’une sensibilité Fébrile. Il a épousé son temps avec un enthousiasme sans réserves.  Son exposition, salle Péguy, constitue un chant et un hommage à ce qui caractérise fondamentalement notre temps: le métal, dont l’emploi est encore majeur dans notre civilisation moderne.

Plutôt que de subir positivement le règne du métal, Leunens a cherché à en pénétrer le système, comme pour en  débusquer les menaces qui y sont latentes. Artisan, technicien, mais également doué d’un tempérament généreux, Leunens a voulu en quelque sorte, exorciser le métal – en l’occurrence, l’aluminium, d’un maniement plus poétique  et d’une matière plus sobre et plus noble que d’autres métaux et le rendre plus propice à l’homme en en dégageant la beauté qui y est incluse.

Un tel dessein l’a conduit, après bien des recherches, à inventer un langage nouveau pour que la matière se laisse pénétrer par l’esprit de l’homme. Évolution toute naturelle d’un artiste qui, après avoir suivi, non sans originalité, les routes de la peinture traditionnelle, a pris des sentiers encore inexplorés et a abouti à l’exploration d’un monde nouveau: celui de la nuit et des astres, pour  lequel le grain et les caractéristiques de l’aluminium convenaient admirablement. Il en a tiré des effets qui laissent pantois les spectateurs.

Les grands tableaux, où s’opposent la gamme variée des gris, allant de l’argenté au sombre évoquent irrésistiblement des mondes en gestation ou en opposition.  Les lignes jaillissent avec une fougue généreuse; les plaques de gris granuleux revêtent des formes larges ou déchiquetées qui font penser à des univers en évolution permanente.  Le lyrisme du trait ou de la ligne ou le jeu mathématique des courbes, ou encore les veinures profondes, imposent à l’aluminium un sens qui le dépasse: une fusion quasi mystique avec le cosmos ici rapporté.

A côté des grands tableaux, il y a surtout des « monotypes » métalliques, dont le style est identique, mais qui sont montés sur des feuilles de papier.  Ils ont été réalisés selon  une technique propre à Leunens; il est actuellement le seul peintre à posséder ce qui reste un « secret ». Les résultats sont étonnants;  chaque « monotype » dégage un pouvoir d’émotion et de beauté dû à la maîtrise avec laquelle Leunens a buriné le métal: aspérites, inégalités, lumière, tout converge à restituer la vertu poétique de l’aluminium.  Gris nuancés, moins durs ou profonds, s’allient dans un jeu subtil pour donner au petit tableau une grâce et une séduction inattendues.

Ce qui frappe , c’est l’unité profonde de l’inspiration qui, sans se répéter, parce que fondée sur une observation inlassée de la réalité, aboutit à des créations d’un style inimitable.  Il ne paraît pas excessif de conclure que Leunens est un de ces rares peintres qui sont précurseurs d’un art tendu à exprimer le monde en gestation autour de nous, dont il pressent avec une sensibilité frémissante et une intelligence aiguë les grandes tendances et qui les exprime avec la matière la plus apte à enclore le maximum de chaleur humaine.

Atelier d’art Leliegracht 38, Amsterdam, Holland

… L’exposition actuelle ne révèle qu’une seule facette de sa puissance créatrice au public: les soi-disant monotypes métalliques. Mais nous vous offrirons prochainement l’occasion de faire connaissance avec ses sculptures et ses murales.

Ces monotypes sont le résultat surprenant et fascinant d’une technique nouvelle, toute personnelle: les mains de peintre de Leunens ont contraint le métal(aluminium) à se comporter comme une couleur à l’huile.  L’appellation monotypes a été donnée à ces oeuvres par madame Mauquoy, conservatrice du Cabinet des estampes à Bruxelles.  A tort, croyons-nous, puisqu’elle suggère un lien avec l’art graphique qui est totalement absent. Ce sont des tableaux abstraits pour lesquels nous aimerions utiliser un nouveau nom spécifique.

Son inspiration est toujours nourrie par les expériences de l’ouvrier-artiste dans le Brabant belge.  Il y était fasciné par le feu et le métal, le jour, dans la fabrique; la nuit, ces images le poursuivaient pendant ses efforts créateurs; c’est là  que la maîtrise de l’homme sur la matière l’a poussé finalement jusqu’au triomphe artistique.

Si l’on définit le talent comme la somme d’habilité technique et de personnalité, Guillaume Leunens s’érige comme un démiurge parmi ses collègues: un caractère prédominant plein d’énergie et d’assurance qui emprunte sa palette au creuset.  Il a su conférer quelque chose de sa vigueur à ses monotypes qui, avec leur subtile diversité, demandent instamment à retenir l’attention.  Ce sont des manifestations ultra contemporaines d’un talent original.

Marcel Van Jole member of the administrative council of the I.A.A.C.(International Association of Art Critics

Voilà bientôt quinze ans que je connaissais l’oeuvre sans avoir jamais rencontré l’artiste. Le hasard me fit connaître Guillaume Leunens lors d’une visite que je fis à Paris dans le but de réunir des oeuvres d’artistes belges, travaillant dans la capitale française, oeuvres qui allaient êtres vendues aux enchères au profit du village Reine Fabiola.  Il vit dans un petit appartement vieillot où les toiles entassées émergent à peine de la pénombre. Une paire d’yeux pénétrants et vifs qui vous transpercent, des cheveux épais et courts, taillés en brosse, joints à une moustache poivre et sel géométrique et soignée, des traits torturés aux pommettes saillantes et mobiles, un corps décharné.

Tandis qu’il mâchonne nerveusement un cigarillo, une moue ironique apparaît sur ses lèvres, tout heureux qu’il est de pouvoir s’exprimer en Flamand. Tel m’est apparu Guillaume Leunens. Le manque de pratique et la contamination du français confèrent un accent savoureux à son parler et sa gentille épouse française fait plaisir à son mari en acceptant qu’il me parle dans sa langue maternelle. La glace a été aussitôt rompue et je savais déjà que je ferais de mon mieux pour faire connaître l’artiste dans son pays natal, auquel il reste fidèle.

Né à Hal (Brabant) en 1914, dans un milieu ouvrier, il grandit, suite à un désaccord entre ses parents, dans un orphelinat d’ Herenthals. De cette jeunesse il n’a conservé que de piètres souvenirs. Aussitôt que le lui permet  la loi sur la scolarité, il devient ouvrier d’usine. Il est engagé dans une fonderie de bronze et de fer sans se rendre compte que trente ans plus tard cette période  aura un effet déterminant pour l’orientation  de sa carrière. Durant les heures creuses, après l’accomplissement de la tâche quotidienne, les dimanches et les jours fériés, il se consacre à la peinture, à des expériences personnelles.  Est-ce déjà l’appel?…

Comme tant d’autodidactes, il ne se sent lié par aucune norme contraignante et se montre ouvert à toutes les nouvelles tendances,  même si parmi elles il n’en retient qu’une seule: celle qu’il crée lui-même. Dès l’âge de seize ans il suit assidûment toutes les manifestations artistiques d’avant-garde. Il est d’abord séduit par les expressionnistes: Permeke, Frits van den Berghe, Gust De Smet – ils formaient l’avant-garde à cette époque. Ensuite il passera au camp des peintres abstraits, non sans avoir confronté ses idées avec celles de Victor Servranckx, cet autre pionnier, coresponsable avec Joseph Lacasse de la percée de l’art non-figuratif dans nos contrées.  Pourtant il se cherchera aussitôt un style propre, qui n’appartient qu’à lui.

De son époque figurative – marquée par l’influence cubiste de Jean Brusselmans – retenons surtout que Guillaume Leunens est un peintre de la nuit. Ses pesantes constructions en couleurs, dans lesquelles le bleu foncé contraste violemment avec un jaune éclatant et un rouge brique, lui permettent avant tout de rendre plus sensibles les mystères de la nuit.

De cette époque datent des oeuvres qui retiennent l’attention de certains de nos critiques perspicaces, tels Maurits Bilcke, et le regretté Jan  Walravens, prématurément décédé, qui ne cessa d’encourager Leunens et qui lui avait fait savoir:   « Je cherche une occasion pour écrire un article important sur votre oeuvre. Il est temps que l’on commence à mieux vous apprécier chez nous. »

En 1961 il écrivit:    « Leunens est une des personnalités les plus marquantes que je connaisse ». En 1958, Guillaume Leunens s’arrache à la vision de la nature. On le voit alors saisir l’essence même de ce que l’on pourrait appeler l’absence de lumière. Dans de nombreuses expériences réalisées au moyen de peinture, de fer chauffé et d’aluminium, de verre ou de cuivre et même avec des ingrédients comme l’encre, la cire, des grains de café écrasés, il étale des surfaces foncées et pourtant vibrantes, dont l’aspect sombre est rendu encore plus énigmatique par une fine ligne blanche ou un point rouge.

Toutes les oeuvres de cette période de l’artiste – dont la personnalité inquiète nous fait revivre certains moments violents d’un van Gogh – ne possèdent pas la même intensité.  Il n’empêche que dans ses meilleures productions Guillaume Leunens parvient  déjà à évoquer la fascination de la nuit totale. Entre temps – nous sommes en 1957- Guillaume Leunens émigre brusquement à Paris, attiré très probablement par le rayonnement toujours séduisant de cette cité dont on affirme parfois , plaisamment , qu’elle a perdu le monopole artistique qu’elle a détenu durant plus de deux siècles. Paris n’en continue pas moins d’offrir énormément aux artistes qui aspirent à un métier parfait, qui recherchent la quintessence.

Paris n’est-il pas la ville aux possibilités illimitées pour les découvertes et les confrontations?  Paris est encore ce fruit un peu trop mûr, cette fleur enchanteresse qui attire les abeilles  et leur offre son nectar, cette ville qui plaît toujours. Songeons par ailleurs que la fameuse « École de Paris » comprend 80% d’étrangers (surtout des Russes, des Polonais, des Italiens, des Suisses, des Espagnols, des Américains du Nord et du Sud desNéerlandais, des Scandinaves, des Belges) : Paris est le creuset des arts, un lieu de rencontre fascinant.  Il nous suffit de penser au « Bateau Lavoir » à Montmartre, à « la Cité Fleurie », Boulevard Arago, à « La Ruche », passage de Dantzig, à la « Villa des Fusains » rue de Touragne , à « Montmartre aux Artistes », rue Orderer, aux « Ateliers 77 », avenue Denfer-Rochereau. C’est cette tradition qui fait défaut à Londres, New-York, San Francisco, Milan, Rome etc. Rien qu’en allant visiter les différents ateliers des graveurs, tapissiers-lissiers, lithographes, sculpteurs et peintres, on ressent et apprécie ce sentiment de la tradition et du bon goût qui s’épanouit dans l’âme de Paris.

Dès le début de son séjour à Paris, Guillaume Leunens ressentit cette impression de profusion, de maîtrise artistique. Il l’éprouva et la constata aussi bien dans les galeries des quartiers de type traditionnel comme « La rue de la Boétie » , le « Faubourg Saint Honoré » et la « rue Miromesnil » que dans les rue d’artistes de la « Rive Gauche », tels le boulevard St.-Germain, le boulevard Raspail, la rue de Seine, la rue des Beaux-Arts, la place Furstenberg.

Guillaume Leunens constate qu’il n’est pas nécessaire de visiter des musées impressionnants pour méditer devant Vlaminck, Seurat, Picasso, Manessier, Bissière, Tal Coat, Leonor Fini, Hartung, Ubac, Pol Bury ou Michaux, ni de parcourir le pays pour admirer Maillol, Rodin, Renoir, Giacometti, Calder, Tinguely, Zadkine, Germaine Richier, Henry Moore, César, Robert Muller, Nevelson, Dodeigne, Gonzalez, Roel & Reinhoud (d’Haese) ou encore de fournir un effort pour être confronté avec les oeuvres les plus récentes d’ Alechinsky, Poliakoff, Lacasse, Appel, Jorn, Warhol, Corneille, Rauschenberg, Oldenburg, et bien d’autres. Tout cela peut être vécu dans la multiplicité et la diversité de près de quatre cents galeries parisiennes. Et puis, un jour, fatigué de flâner, de regarder, il braque à nouveau les yeux sur sa propre oeuvre. Une nouvelle perspective, éclairée par toutes les oeuvres qu’il a pu admirer, se dessinera dans sa peinture. Par une sorte d’osmose artistique naîtra une nouvelle vision qui le mènera à un état d’esprit, somme toute prévisible; tout est logique dans l’épanouissement de Leunens, un épanouissement que lui-même ne soupçonnait même pas.  Il considère sous un autre angle sa production antérieur, il va au devant de plus de liberté.

Guillaume Leunens, comme tant d’autres, éprouvait et ressentait, bien sûr, que le marché de l’art à Paris est une véritable jungle; il a pourtant su persévérer et c’est un de ses grands mérites. Après chaque expérience il se mettait à nouveau au travail, sans se rebuter, en silence, surtout en silence, convaincu qu’il le fallait et qu’il ne pouvait en être autrement. Il peint des tableaux abstraits dans des tons grisaille.  Il se mue en peintre abstrait de la nuit, car la lumière nocturne souligne la couleur et dégage tous ses mystères.  En 1960 il transpose ses peintures sur métal, matériau qu’il connaît à fond depuis sa prime jeunesse. Des plaques d’aluminium reçoivent ses formes géométriques primitives, des cercles, des carrés distendus, des rectangles de travers, des diagonales, des lignes parallèles, des transversales, des carreaux, des trapèzes en perspectives, des cônes tronqués et raccourcis. Elles révèlent une essence poétique; malgré la géométrie apparemment sèche, elles confèrent à l’aluminium prosaïque une forte dose de chaleur humaine.

Logiquement le choix du métal aurait dû consacrer Guillaume Leunens comme un sculpteur du fer, pareil aux membres de la « dynastie » des Gonzalez, du suisse Robert Muller, de César, du Flamand-Canadien Pierre Heyvaert, des Flamands Reinhoud et Roel d’Haese, de Remy Cornelissen et bien d’autres. Il n’en reste pas moins que Guillaume Leunens est un peintre, et lorsqu’il veut introduire de nouvelles possibilités expressives, il ne tient pas à renier l’art pictural. Il désire pourtant l’adapter à l’idéologie de l’époque, devenue vaste grâce aux conquêtes cosmiques. On reconnaît de la ténacité dans sa manière de vivre, dans sa défense de ses conceptions et de son esthétique, dans sa lutte indéfectible contre la matière, contre le métal.

Involontairement nous pensons à l’âpreté de Bram Van Velde. La projection d’aluminium liquide, dans la maîtrise artisanale, évoque des rythmes qui irradient une présence spatiale. La suggestion poétique, la chaleur visuelle, une gamme de vibrations lumineuses caractérisent son originalité. Alors que initialement un doux relief, obtenu en travaillant d’avance le métal, captait chaque fois la lumière et accordait une priorité à certaines lignes au moyen d’un scintillement naturel ou par l’angle d’incidence des rayons lumineux, plus tard et encore aujourd’hui le plan sera traité d’une façon tout à fait bidimensionnelle.

La lumière reste cependant essentielle dans l’oeuvre de Guillaume Leunens, une oeuvre qui n’est redevable en rien aux impressionnistes, mais présente plutôt l’aspect d’un Caravage, sans toutefois qu’on doive la qualifier de clair-obscur.  C’est plutôt un nimbe enveloppant qui permet par endroits à des sources de lumière de se manifester parmi les gris  « dégradés », c’est une lumière qui est à la fois de la couleur, crée un environnement, évoque un climat, suggère une ambiance et irradie par ses modulations, les lignes aérées, les tracés fuyants animant les profondeurs et l’aspect féerique des surfaces presque monochromes.  En plus des grandes productions, toujours verticales, qui suscitent une ambiance d’architecture psychologique, il convient de mentionner de plus petits formats, monotypes, réalisés sur papier selon une technique qui est et reste le secret de Guillaume Leunens. Le résultat est éblouissant; chaque monotype rayonne de lumière et d’émotion, d’ombres, de tons dégradés, de matière granuleuse.  Ils forment un ensemble harmonieux qui confère au métal des qualités jusqu’ici insoupçonnées.

Peut-on concevoir autrement les manifestations artistiques que comme l’équivalent d’une science qui nous échappe? Une génétique fondée sur des constituants plastiques est en train de mûrir. Née de géométrie élémentaire, elle évolue dans le sens de la relativité: l’unité forme-couleur est aux arts plastiques ce que la relation particule-onde est à la nature.  Aux organismes picturaux, dont la nature est l’inspiratrice, Guillaume Leunens oppose des structures plastiques, parallèles à l’action de l’homme sur la nature. Il nous présente une construction de l’homme dans la nature. Son art apparaît comme un refuge pour l’esprit, un séjour des idées claires.  Voici donc un artiste contemporain, témoin de son époque , qui érige des bastions contre la terreur qu’inspire notre technicité. C’est un artiste dans l’âme, dont l’élan créateur , mieux , la fièvre créatrice , égale son impitoyable capacité de travail et son enthousiasme , un homme honnête, qui se confond avec son oeuvre, ce rapport de l’homme et de l’oeuvre constituant un autre trait dans sa production de Guillaume Leunens.

En 1969 il était l’invité du groupe E.A.T. « Experiments in Art and Technology », fondé aux Etats-Unis par Billy Klüver et Rauschenberg, et y exposa au musée de Brooklyn ainsi qu’au « Museum of Modern Art » à New-York. Il fût l’hôte du Gouvernement français au Pavillon de L’Exposition Mondiale à Montréal(Canada). Lors de la « quinzaine française »: « La France invitée à Anvers », le Gouvernement Provincial d’Anvers le reçut au Centre Culturel Provincial Arenberg et ensuite au Centre Culturel de Turnhout. A chacune de ces occasions on a pu remarquer l’harmonieuse unité, la tranquillité, la sérénité réalisée par ce possédé fébrile de l’art. J’ai l’impression qu’après une ascension de plusieurs années, Leunens a enfin atteint le stade de la perfection lorsque la contemplation s’empare de tout son être.

Ghislain Mollet-Vieville Agent d’art, Expert près la Cour d’Appel de Paris

L’ensemble des oeuvres de cet artiste témoigne d’une forte personnalité qui a su expérimenter des matériaux nouveaux (l’aluminium en particulier) dans le cadre d’une réflexion qui remettait en question la nature traditionnelle de la peinture et de la sculpture.

C’est du côté du constructivisme que réside vraissemblement l’origine de ce travail caractérisé par une grande rigueur d’où se dégage un sentiment de force, de puissance qui ne peut qu’impressionner le spectateur. Parfois son oeuvre a quelque chose de brutal, d’archaïque, comme s’il avait voulu libérer certaines forces sauvages contenues dans les profondeurs de la vie.

Particulièrement intéressants – pour son époque- sont les effets de volumes et de découpes des tableaux qui prennent ainsi le statut de sculptures murales.

Son esprit novateur est associé, dans un synthétisme des formes, à une grande maîtrise de la matière où les différents éléments découpés, soudés, martellés semblent émanés des traits d’un dessinateur hors pair et l’on peut dire de cet artiste qu’en cherchant à nier les limites conventionnelles de la surface picturale, il réussit à conquérir de nouveaux espaces pour le tableau et la sculpture.